Alejandro Jodorowskypar Kazik Hentchel La
filmographie d'Alejandro Jodorowsky
comprend sept films dont un disparu, le premier, Les têtes interchangées, d'après une nouvelle de Thomas Mann. Il y
a donc six titres dans sa filmographie. à travers ses six films, l'auteur de
El Topo a réussi à créer son propre univers artistique et métaphysique. Jodorowsky, comme Raoul Ruiz, ne réalise pas seulement
des films mais "une oeuvre dans laquelle chaque film est un élément
constitutif d'un ensemble" (une continuation conséquente d'un autre). Le
véritable art personnel est toujours basé sur l'obsession. En effet, l'oeuvre
de Jodorowsky est une variation des mêmes mythes
autour du même sujet. L'homme à la recherche de lui-même. Cette obsession est
sans doute liée à ses origines. L'artiste est né au Chili d'un père russe et
d'une mère argentine d'origine russe. Comme il le dit lui-même, "les
enfants ne m'ont pas accepté parce que j'étais russe, les jeunes gens car
j'étais juif, les français car j'étais chilien, les mexicains car j'étais
français, les américains pensent que je suis mexicain..." Jodorowsky comme Gombrowicz peut se définir comme
étranger dans son propre pays. C'est sûrement pour cette raison que son
oeuvre n'a pas de frontières. Cet artiste complet (écrivain, metteur en scène
de théâtre, auteur dramatique, mime, acteur, auteur de bandes dessinées,
compositeur, scénographe...) nous dessine au cinéma la synthèse du monde sans
frontières avec ses multiples cultures, mythes, religions, rites. Ce monde
terrestre est pour lui trop petit, c'est pourquoi dans La Montagne sacrée, Jodorowsky décrit le monde intergalactique. Pour cet
artiste multidisciplinaire, le cinéma est un domaine principal grâce à son
caractère polyvalent. Après son
premier film, Les Têtes interchangées, il a réalisé
l'adaptation d'une pièce d'Arrabal Fando y Lis,
Roméo et Juliette arrabalien, freudien : Un
homme, une femme, et l'impossibilité de s'unir car la femme est paralysée. Un
film réellement cruel pour lequel les acteurs ont subi de vraies tortures et
où le sang que l'on voit est réel. En filmant vrai, Jodorowsky
a réalisé un rêve honorifique sur la pureté infantile dans un monde
sado-masochiste. Un film artistique pur, sans concessions, tourné en toute
liberté. Au début
des années soixante, il créé avec Arrabal et Topor le mouvement Panique. Le
mouvement qu'ils ont crée lui convient mieux dans sa liberté, son ouverture,
que la rigidité bretonienne du mouvement
surréaliste. En 1971, il réalise El Topo, qui devient un film culte. Sous la
forme d'un western se cache un voyage spirituel. Jodorowsky
multiplie les images de réalités diverses puisant dans les cultures de
plusieurs religions. Le héros du film El Topo plonge dans la folie du monde
afin de trouver son identité. Il puise dans les différentes propositions
spirituelles ce qui forgera un homme nouveau, un homme meilleur qui a forgé
son chemin. El Topo est la Bible multi-religieuse
de Jodorowsky. Contrairement à Buñuel qu'il
considère comme un cinéaste catholique, il se définit comme artiste métaphysique,
réaliste métaphysique. Bien sûr, El Topo nous plonge dans l'univers baroque
latino-américain (Antonio das Mortes, Macunaima...) mais Jodorowsky
dépasse les frontières du continent, mélange les cultures, explore
l'inconscient. Ce western mutli-biblique est un
conte philosophique qui résume le monde extérieur. El Topo exprime nos
désarrois, nos vérités intuitives impossibles à exprimer. Au travers
des diverses métaphysiques (Gurdjieff, Suzuki, le
zen, le bouddhisme, la culture japonaise, la culture chinoise, le soufisme,
le judaïsme, le Zohar, la cabbale...) le héros évolue. Mais aucune ne lui
donne la réponse escomptée. Le spectateur se retrouve devant tant de
solutions qu'il parvient à un état de recherche, de quête comme celle de El
Topo. "Au moyen
de symboles, d'archétypes, je m'adresse à l'inconscient collectif des
spectateurs. C'est à ce niveau que les symboles commencent vraiment à opérer,
à révéler toutes leurs richesses." Après El
Topo, Jodorowsky réalise La Montagne sacrée (1973),
film de science-fiction métaphysique situé sur la terre et dans plusieurs
galaxies. C'est un parcours initiatique, un voyage intergalactique à la
recherche de l'absolu, un voyage d'images dans un univers déréglé. Ce film
baroque est hallucinant, proche dans son esprit de O Lucky Man ou de Britania Hospital de Lindsay
Anderson. On y trouve une critique sociale, une satire pleine d'ironie d'un
monde entaché de misère et de cruauté. Jodorowsky
propose des images à la façon d'un puzzle. C'est aux spectateurs de reconstruire
ce monde décomposé dans différentes consciences de réalité. "Un
film est artificiel, je joue sur l'irréalité pour arriver à la réalité du
cinéma" dit-il, "Nous ne sommes que des images, nous ne devons pas
rester ici, prisonniers... Adieu à la montagne sacrée, la vie réelle nous
attend", dit l'alchimiste à la fin du film. El Topo et
La Montagne sacrée peuvent être considérés comme des oeuvres ouvertes,
avalanches d'images oniriques, symboliques, laissant une marge
d'interprétation infinie.Santa Sangre
(1989) fait partie de ce cycle de fables cruelles, de cinéma de rites à la
conquête de la vérité intérieure. Jodorowsky
n'essaie pas d'expliquer le monde, mais nous propose par une multiplication
d'images troublantes, expressives et riches en significations, de réveiller
notre conscience sur l'univers et sur nous-même. On l'accuse d'exploiter la
violence spectaculaire dans les images qu'il nous montre. Il existe une
violence destructrice et une violence créative. Ses films sont imprimés d'une
violence créative. C'est un moraliste cruel. Il nous apporte sa propre vision
du monde. Laissons-le parler. "Je
crois que l'art doit libérer les forces de l'inconscient et doit travailler
comme une clé dans votre inconscient. L'artiste sort tout ce qu'il a eu
lui-même et le met dans une oeuvre d'art. Les symboles qu'il utilise doivent
jouer un rôle cathartique, unir les forces dispersées dans l'inconscient et
les projeter à l'extérieur de l'individu. Dans la société, il y a d'énormes
quantités de forces dispersées. Le but de l'oeuvre d'art est de canaliser
toutes ces forces et de les orienter vers un point de fusion. L'artiste est
un catalyseur d'énergies". Alejandro Jodorowsky n'est
pas un technicien de la profession cinématographique, il a réussi à élever le
cinéma au rang de la poésie. |
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