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ébouriffée devant son café serré, Claire Doyon, 32 ans, a le
regard du Petit Poucet tout juste sorti de sa forêt. Encore un
reste de peur, mais pas peu fière d'avoir su se guider avec
ses propres petits cailloux. Après deux années d'un tournage à
l'arraché, la cassette de son premier film, les
Lionceaux, a été envoyée comme une bouteille à la mer à la
Quinzaine des réalisateurs et sélectionnée. «Je crois que
ça a sauvé le film, dit-elle de sa voix menue. Sinon,
je ne sais pas si nous aurions pu le terminer...» En deux
ans, trois producteurs se sont succédé, le budget s'est
sérieusement réduit et les soixante pages du scénario n'ont
cessé d'être rebidouillées... Après ce tournage en tangage,
Claire Doyon aborde Cannes, avec un délicieux mal de
terre.
«Cadre idéal». A peine sortie de la Fémis il y a
deux ans, la frêle jeune femme s'était jetée dans ce projet
qui la ramenait à Sète, à deux pas de sa famille. Des
protestants descendus des Cévennes. Déjà, en 2000, dans son
film d'étude, elle y avait filmé la longue veillée mortuaire
d'un grand-père. Est-ce à cette occasion que sa grand-mère lui
a demandé à quoi servait le cinéma ? «A rien», a
répondu Claire Doyon de sa voix de petite fille. «Si jamais
tu en fais quand même, il faut que tu appelles Godard, lui
aussi il est protestant», a conseillé la grand-mère. Mais
le titre du film était déjà une réponse : Le vent souffle
où il veut. Le credo de cette souris brune à l'oeil
scrutateur. Son dogme ?
Ce n'est qu'à 25 ans qu'elle s'intéresse au cinéma.
Etudiante en lettres, elle sait que, dans l'écriture, pour
elle, «il manque la vie et le mouvement». Elle présente
donc la Fémis. «Au deuxième coup, je suis reçue. Ce fut un
luxe total pendant trois ans. L'idée de l'échec n'y existe
pas. La Fémis est un cocon surprotégé, un cadre idéal de
production. Là, j'ai commencé à pratiquer le cinéma en même
temps que je l'ai découvert.» A la sortie, la jeune
présomptueuse file, scénario en main (l'histoire de deux
filles sauvages et d'un Robinson), dans un domaine au bord de
l'étang de Thau, filmer son conte de fées musical comme on
part sur une île déserte. «En fait, ce film, je ne l'ai
jamais imaginé globalement. J'ai écrit un scénario et c'est
après que s'est inventé l'univers du film. Un univers pas
réaliste du tout.»
Elle découvre les cruautés de la production. Rien ne
l'arrête. Elle en fait même son miel. «Ces contraintes
économiques m'ont obligée à des réécritures successives, à
supprimer des personnages. Cela a resserré l'intrigue,
l'histoire est devenue squelettique. Et, du coup, cette
comédie s'est faite plus oppressante.» Elle demande aux
acteurs et aux techniciens de travailler au film comme elle.
En inventant au fur et à mesure du tournage. «La costumière
a proposé que tous les costumes soient en soie. Et c'est
devenu une composante importante du film... La soie qui bouge
au vent.» Une ambiance de studio qui en déroute certains,
où elle tient à ce que chacun puisse lancer une idée, jusqu'à
la dernière minute. «Pour impressionner sur la pellicule
quelque chose de vivant, d'imprévisible. Exécuter un scénario,
aux deux sens du terme, ça ne me ressemble pas du
tout.»
«Humeurs». Une fragile méthode de travail qui ne
rassurait évidemment pas les producteurs. Qui mettait
perpétuellement en danger les comédiens. «Même pour les
chansons, il n'y avait pas de mélodie au départ. Ce sont des
improvisations, enregistrées en direct, au gré du climat, des
humeurs. Alors que la production voulait une partition.»
Dans cette presqu'île déserte, Dani et Jacno (les parents des
deux soeurs) et les trois autres jeunes acteurs se sont
laissés aller au gré des trois vents qui soufflent là. La
tramontane, le mistral et un autre qu'on appelle le vent des
fous. C'est celui-là qui les a tous emportés, avec Claire
Doyon. «J'ai envie que ce film ressemble à du
vent.».