sa façon, le titre du premier film de Claire Doyon ne ment pas
: les Lionceaux peut effectivement se voir comme un
documentaire animalier. Avec l'adolescence pour jungle
dangereuse et les jeunes sauvageons aux instincts impulsifs
qui l'habitent en guise de faune.
Deux jeunes filles investissent une île (en bordure du
golfe du Lion) de leurs enfantillages : elles se griffent, se
maculent le visage de boue, inventent des chorégraphies
foldingues, revêtent des soies rouges, jaunes, vertes, bleues.
Elles sont les enfants terribles d'un couple d'artistes très à
part, dont la mère est incarnée par Dani, clope au bec, et le
père, un artiste à la Cocteau qui parle aux statues, Jacno,
plus Bowie que jamais.
Folie douce. Un matin, recouvert d'algues et de sel,
vient s'échouer sur la rive de leur folie douce un divin
cadeau du ciel : un jeune homme, Gustave, aussi spontanément
animal qu'elles en ont assez de n'être qu'enfantines. Le
bouche-à-bouche dont use l'aînée des deux gamines pour le
ranimer scellera leur amour. Il sera le centre exclusif de ses
jeux, écartant la plus jeune des deux soeurs. Mise sur la
touche, ou plutôt remisée au ponton, celle-ci observera toute
la gamme des nouvelles occupations auxquelles les électriques
deux petits lions vont s'essayer. Un félin n'apprend pas, il
expérimente tour à tour mais reste non apprivoisé.
Non apprivoisé, les Lionceaux l'est tout autant :
film ovni, proche du Filme de amor de Júlio Bressane,
voisin de Quinzaine, qui peut larguer en route pas mal de
spectateurs mais provoque chez les autres une ferveur
récompensée au centuple. Notamment chez nous, comblé par
autant de propositions cinématographiques à contre-courant de
tout le naturalisme tricolore ambiant.
Ile mentale. Les mouvements sont des chorégraphies, les
matières flottent, les mots sont devenus des rugissements,
tout tourne à la renverse, la moindre escalade est montée en
épingle comme si, à chaque heure, se rejouait un théâtre
solaire et décadent que l'on jurerait tombé des cieux ou d'un
roman fin de siècle de Sar Peladan. Héritière stylée du
baroque flamboyant d'un Werner Schroeter ou d'un Jean Cocteau,
Claire Doyon s'est inventé un monde à soi qui est un monde de
soie et de tulle, susceptible à tout moment de craquer. Si
elle est, hypothèse, une documentariste animalière perdue sur
une île mentale, on peut dire que ce qu'elle capture, elle le
restitue toujours sous une évanescente matière hymen. Et si ce
film menace de céder à tout moment sous le poids du risque
encouru, il réussit cependant l'exploit de tenir la note de
bout en bout et de nous emporter assez loin
l